Philosophie | Le clochard millionnaire

Voici un texte que j'ai écrit à la fin du dernier millénaire. Je le partage ici en tant que témoin du passé bien qu'aujourd'hui, il me paraisse un peu fatiguant avec son ton péremptoire. Avec l'expérience façonnée par le flot du temps qui passe, il me devient de plus en plus difficile de soutenir une affirmation quelconque: le moment d'après, celle-ci me parait déjà geler une impression qui tire toute sa vérité de la fluidité de la vie.

Le clochard millionnaire

Le malheur de l'homme vient de sa conviction que le bonheur dépend de circonstances. Un bien-être circonstanciel est en fait une angoisse qui se cache. La peur de manquer est toujours présente même lorsque les circonstances paraissent favorables. Pour recouvrir cette peur qui menace notre maigre sentiment de bonheur relatif, nous cherchons constamment d'autres prétendus objets de bonheur. C’est un comportement compulsif généré par l'idée qu'il nous faut quelque chose pour être heureux et par la peur de manquer qui en découle.

Cette quête du bonheur circonstanciel nous conduit à chercher toujours plus loin. Après avoir obtenu les objets de nos désirs les plus proches, nous trouvons des objectifs plus lointains et donc difficiles à atteindre. Finalement, on en arrive même à cultiver des désirs irréalisables afin de justifier durablement notre sentiment d'inconfort plutôt que de se rendre à l'évidence que rien ne nous satisfera jamais. La religion, la spiritualité, ou dans ce sens, n'importe quelle autre perversion, peuvent souvent servir de support à nos ultimes projections. Autrement dit, sous prétexte d’une quête de l’inaccessible, il y a volonté inavouée de maintenir un morne statu quo.

Cependant, il peut arriver un jour que cette vie robotique nous lasse et nous laisse sans énergie pour fuir encore notre sentiment de vide. C'est la grâce de la capitulation, on abandonne, on s'abandonne. On accueille alors sa peur sans plus résister, dans le calme. Elle est là, complètement là, et puis quoi? Et puis rien, plus rien. L'attitude d'accueil, d'observation, est incompatible avec la peur qui est mouvement. On ne peut pas avoir peur de ce qui est là. On ne peut angoisser que dans le devenir.

Il survient donc une expérience inattendue de bien-être sans raison. On réalise soudain que c'est ça que nous avons toujours chercher à obtenir. On comprend aussi que cette joie gratuite a toujours été là. C'est notre condition initiale, la base de notre être. La seule raison de notre exil dans le désert brûlant du désir était d'avoir simplement oublié qu'on n'a besoin de rien, que tout nous est donné.

L'homme heureux qui réalise qu'il est libre peut encore prendre un moment pour observer avec amusement ses réflexes récurrents de mendiant. En effet, même un clochard qui a gagné le gros lot continuera un certain temps à ramasser des mégots...

Catégorie:
1

Bonjour,

Nous pourrions peut-être creuser cette notion de "pianiste". Que veut dire être un pianiste ou un pianiste raté? Quels sont les critères qui le déterminent? Est-ce le fait de gagner ainsi sa vie? Peut-être, mais combien de ces pianistes professionnels n'ont pour principale qualité justement que de gagner de l'argent? Ou alors, serait-ce le nombre de gens qui ont du plaisir à nous écouter et dans ce cas, combien de publics serait-il nécessaires pour parler de réussite? Ou alors serait-ce le niveau subjectif de nos possibilités pianistiques que nous examinons à la lumière de nos ambitions et autres exigences?

Quant on parle de réussite ou d'échec, nous exprimons en fait un jugement qui est conditionné par des critères que nous avons consciemment ou inconsciemment choisis. En effet,nous pouvons très bien être plus ou moins exigeant ou indulgent avec nous-même dans notre manière de nous mettre en scène devant ces critères de réussite.

D'un autre côté, un bon artiste à mon avis ne sera jamais content du résultat de ses œuvres, mais sera pourtant toujours passionné par son art. Nous pourrions alors parler de réussite dans un autre sens: l’établissement d’une relation de plaisir (et de confiance) avec l’art que nous pratiquons qui n’est plus basée sur un résultat objectif mais sur la joie immédiate que nous procure la pratique quotidienne de notre art.

Probablement, pour connaître cette joie dans l’instant, comme celle d’un enfant qui joue, il faut pouvoir perdre passablement de vue toutes nos attentes quant à une éventuelle réussite. L’avantage c’est que ne spéculant pas sur l’avenir, on devient vraiment disponible à notre art, libérés de la problématique d’objectifs à atteindre. Et il se peut que par cette approche amicale du piano, nous finissions par trouver une expression qui parle aux autres, peut-être même à notre grande surprise,là où une pratique volontaire, fixée sur des objectifs, n’exprime que la froideur de ses ambitions. Peut-être était-ce justement le bagage de nos rêves qui nous empêchaient de passer la porte étroite qui donne sur la profondeur de notre art?

Merci pour votre commentaire et votre témoignage Wink

Commentaire de ralph, soumis le 15.09.08 à 3:34
2

Bonjour Raph,
J'ai découvert avec beaucoup d'intérêt votre site..Moi même pianiste "ratée" j'ai courrue toute ma vie après des chimères,pire encore avec l'illusion de devenir pianiste...J'ai toujours espéré..Aujourd'hui seulement je pense avoir comme vous le dites" capitulé"... mais cet abandon de l'espoir en quelque sorte n'est pas sans douleur..peut être l'homme a-t-il besoin de s'accrocher à ses rêves même s'ils sont irréalisables ?l'abandon,"l'attitude d'accueil"comme vous dites n'est-elle pas une solution de repli désespéré...Quand à "l'homme heureux",l'expression même n'est-elle pas un contre sens ?
cordialement

Commentaire de schang, soumis le 11.09.08 à 7:32

Publier un nouveau commentaire

Le contenu de ce champ sera maintenu privé et ne sera pas affiché publiquement.

Informations sur les options de formatage

CAPTCHA
Cette question permet de s'assurer que vous êtes un utilisateur humain et non un logiciel automatisé de pollupostage.